ACTE
ADDITIONNEL AUX CONSTITUTIONS DE L’EMPIRE DU 22 AVRIL
1815 Depuis que nous avons été
appelé, il y a quinze années, par le voeu de la France, au gouvernement de
l’État, nous avons cherché à perfectionner, à diverses époques, les formes
constitutionnelles, suivant les besoins et les désirs de la nation, et en
profitant des leçons de l’expérience. Les constitutions de l’Empire se sont
ainsi formées d’une série d’actes qui ont été revêtus de l’acceptation du
peuple. Nous avions alors pour but d’organiser un grand système fédératif
européen, que nous avions, adopté comme conforme à l’esprit du siècle, et
favorable aux progrès de la civilisation. Pour parvenir à le compléter et à lui
donner toute l’étendue et toute la stabilité dont il était susceptible, nous
avions ajourné l’établissement de plusieurs institutions intérieures, plus
spécialement destinées à protéger la liberté des citoyens. Notre but n’est plus
désormais que d’accroître la prospérité de la France par l’affermissement de la
liberté publique. De là résulte la nécessité de plusieurs modifications
importantes dans les constitutions, sénatus-consultes et autres actes qui
régissent cet empire. A ces causes, voulant, d’un côte, conserver du passé ce
qu’il y a de bon et de salutaire, et, de l’autre, rendre les constitutions de
notre Empire conformes en totut aux voeux et aux besoins nationaux, ainsi qu’a
l’état de paix que nous désirons maintenir avec l’Europe, nous avons résolu de
proposer au peuple une suite de dispositions tendant à modifier et perfectionner
ses actes constitutionnels, à entourer les droits des citoyens de toutes leurs
garanties, à donner au système représentatif toute son extension, à investir
les corps intermédiaires de la considération et du pouvoir désirables; en un
mot, à combiner le plus haut point de liberté politique et de sureté
individuelle avec la force et la centralisation nécessaires pour faire
respecter par l’étranger l’indépendance du peuple français et la dignité de
notre couronne. En conséquence les articles suivants, formant un acte
supplémentaire aux constitutions de l’Empire, seront soumis à l’acceptation
libre et solennelle de tous les citoyens, dans toute l’étendue de la France. Titre premier Dispositions
générales Art. 1er – Les constitutions de l’Empire, nommément
l’acte constitutionnel du 22 frimaire an VIII, les
sénatus-consultes des 14 et 16 thermidor an X, et celui du 28 floréal an XII,
seront modifiés par les dispositions qui suivent. Toutes leurs autres
dispositions sont confirmées et maintenues. Art. 2 – Le pouvoir législatif est exercé par l’Empereur et par deux Chambres. Art. 3.– La première Chambre, nommée Chambre des Pairs,
est héréditaire. Art. 4 – L’Empereur en
nomme les membres, qui sont irrévocables, eux et leurs descendants mâles, d’ainé en ainé ligne directe. Le nombre des pairs
est illimité. L’adoption ne transmet point la
dignité de pair à celui qui en est l’objet –
Les pairs prennent séance à vingt et un ans, mais n’ont voix délibérative qu’à vingt-cinq. Art. 5 – La Chambre des Pairs est présidée par l’archichancelier de l’Empire,
ou, dans le cas prévu par l’article 51 du
sénatus-consulte du 28 floréal an XII, par un des membres de cette Chambre
désigné spécialement par l’Empereur. Art. 6 – Les membres de la famille impériale, dans l’ordre de l’hérédité,
sont pairs de droit. Ils siègent après le président. Ils prennent séance à
dix-huit ans, mais n’ont voix délibérative qu’à vingt et un. Art. 7 – La seconde Chambre, nommée Chambre des
Représentants, est élue par le peuple. Art. 8 – Les membres de cette Chambre sont au nombre de six
cent vingt-neuf. Ils doivent être âgés de vingt-cinq ans au moins. Art. 9 – Le président de la Chambre des Représentants est
nommée par la Chambre à l’ouvertoure de
la première session. Il reste en fonctions jusq’au renouvellement
de la Chambre. Sa nomination est soumise à l’approbation
de l’Empereur. Art. 10 – La Chambre des Représentants vérifie les pouvoirs
de ses membres, et prononce sur la validité des élections contestées. Art. 11 – Les mambres de la Chambre des Représentants
reçoivent pour frais de voyage, et durant la session, l’indemnité décrétée par l’Assemblée constituante. Art. 12 – Ils sont indéfinement rééligibles. Art. 13 – La Chambre des Représentants est renouvelée de
droit en entier tous les cinq ans. Art. 14 – Aucun membre de l’une de l’autre Chambre ne peut être arrêté, sauf le cas de
flagrant délit, ni poursuivi en matière criminelle et correctionnelle, pendant
les sessions, qu’en vertu d’une résolution de la Chambre dont il fait partie. Art. 15 – Aucun ne peut être arrêté ni détenu pour dettes, à
partir de la convocation, ni quarante jours après la session. Art. 16 – Les pairs sont jugés par leur Chambre, en matière
criminelle et correctionnelle, dans les formes qui seront réglées par la loi. Art. 17 – La qualité de pair et de représentant est
compatible avec toute fonction publique, hors celles de comptables – Toutefois
les préfets et sous-préfets ne sont pas éligibles par le collège électoral du
département ou de l’arrondissement qu’ils administrent. Art. 18 – L’Empereur
envoie dans les Chambres des ministres d’État et
des conseillers d’État, qui y siègent et prennent
part aux discussions, mais qui n’ont voix délibérative que dans le cas où ils sont
membres de la Chambre comme pair ou élus du peuple. Art. 19 – Les ministres qui sont membres de la Chambre des
Pairs ou de celle des Représentants, ou siègent par mission du Gouvernement,
donnent aux Chambres les éclaircissements qui sont jugés nécessaires, quand
leur publicité ne compromet pas l’intérêt de l’État. Art. 20 – Les séances des deux Chambres sont publiques.
Elles peuvent néanmoins se former en comité secret, la Chambre des Pairs sur la
demande de dix membres, celle des Reprèsentants sur la demande de vingt-cinq.
Le Gouvernement peut également requérir des comités secrets pour des
communications à faire. Dans tous les cas, les délibérations et les votes ne
peuvent avoir lieu qu’en séance publique. Art. 21 – L’Empereur peut
proroger, ajourner et dissoudre la Chambre des Représentants. La proclamation
qui prononce la dissolution, convoque les collèges électoraux pour une élection
nouvelle, et indique la réunion des représentants, dans six mois au plus tard. Art. 22 – Durant l’intervalle
des sessions de la Chambre des Représentants, ou en cas de dissolution de cette
Chambre, la Chambre des pairs ne peut s’assembler. Art. 23 – Le Gouvernement a la proposition de la loi; les
Chambres peuvent proposer des amendements: si ces amendements ne sont pas
adoptés par le gouvernement, les Chambres sont tenues de voter sur la loi,
telle qu’elle a été proposée. Art. 24 – Les Chambres ont la faculté d’inviter le gouvernement à proposer une loi sur un
objet déterminé, et de rédiger ce qui leur paraît convenable d’insérer dans la loi. Cette demande peut être faite
par chacune des deux Chambres. Art. 25 – Lorsqu’une
rédaction est adoptée dans l’une des deux
Chambres, elle est portée à l’autre; et si
elle y est approuvée, elle est portée à l’Empereur. Art. 26 – Aucun discours écrit, excepté les rapports des
commissions, les rapports des ministres sur les lois qui sont présentées, et
les comptes qui sont rendus, ne peut être lu dans l’une ou l’autre
des Chambres. Titre II Des collèges
électoraux et du mode d’élection Art. 27 – Les collèges électoraux de département et d’arrondissement sont maintenus, conformément au
sénatus-consulte du 16 thermidor an X, sauf les modifications qui suivent. Art. 28 – Les assemblées de canton rempliront chaque année,
par des élections annuelles, toutes les vacances dans les collèges électoraux. Art. 29 – A dater de l’an 1816,
un membre de la Chambre des pairs, désigné par l’Empereur,
sera président à vie et inamovible de chaque collège électoral de département. Art. 30 – A dater de la même époque, le collège électoral de
chaque département nommera, parmi les membres de chaque collège d’arrondissement, le président et deux
vice-présidents. A cet effet, l’assemblée du
collège de département précédera de quinze jours celle du collège d’arrondissement. Art. 31 – Les collèges de département et d’arrondissement nommeront le nombre de
représentants établi pour chacun par l’acte et
le tableau ci-annexé, n° 1. Art. 32 – Les représentants peuvent être choisis
indifféremment dans toute l’étendue de la
France – Chaque collège de département ou d’arrondissement
qui choisira un représentant hors du département ou de l’arrondissement, nommera un suppléant qui sera pris
nécessairement dans le département ou l’arrondissement. Art. 33 – L’industrie et
la propriété manufacturière et commerciale auront une représentation spéciale –
L’élection des représentants commerciaux et
manufacturiers sera faite par le collège électoral de département, sur une
liste d’éligibles dressée par les chambres de commerce et
les chambres consultatives réunies, suivant l’acte et
le tableau ci-annexé, n° 2. Titre III De la loi de l’impôt Art. 34 – L’impôt général
direct, soit foncier, soit mobilier, n’est voté
que pour un an; les impôts indirects peuvent être votés pour plusieurs années –
Dans le cas de la dissolution de la Chambre des Représentants, les impositions
votées dans la session précédente sont continuées jusqu’à la nouvelle réunion de la Chambre. Art. 35 – Aucun impôt direct ou indirect en argent ou en
nature ne peut être perçu, aucun emprunt ne peut avoir lieu, aucune inscription
de créances au grand-livre de la dette publique ne peut être faite, aucun
domaine ne peut être aliéné ni échangé, aucune levée d’hommes pour l’armée ne
peut être ordonnée, aucune portion du territoire ne peut être changée qu’en vertu d’une loi. Art. 36 – Toute proposition d’impôt, d’emprunt, ou de levée d’hommes, ne peut être faite qu’à la Chambre des Représentants. Art. 37 – C’est aussi à la
Chambre des Représentants qu’est porté d’abord, 1° le budget général de l’État, contenant l’aperçu
des recettes et la proposition des fonds assignés pour l’année à chaque département du ministère; 2° le
compte des recettes et dépenses de l’année ou
des années précédentes. Titre IV Des ministres,
et de la responsabilité Art. 38 – Tous les actes du gouvernement doivent être
contresignés par un ministre ayant département. Art. 39 – Les ministres sont responsables des actes du
gouvernement signés par eux, ainsi que de l’exécution
des lois. Art. 40 – Ils peuvent être accusés par la Chambre des
Représentants, et sont jugés par celle des Pairs. Art. 41 – Tout ministre, tout commandant d’armée de terre ou de mer, peut être accusé par la
Chambre des Représentants et jugé par la Chambre des Pairs, pour avoir
compromis la sûreté ou l’honneur de la
nation. Art. 42 – La Chambre des Pairs, en ce cas, exerce, soit pour
caractériser le délit, soit pour infliger la peine, un pouvoir discrétionnaire. Art. 43 – Avant de prononcer la mise en accusation d’un ministre, la Chambre des représentants doit
déclarer qu’il y a lieu à examiner la
proposition d’accusation. Art. 44 – Cette déclaration ne peut se faire qu’après le rapport d’une
commission de soixante membres tirés au sort. Cette commission ne fait son
rapport que dix jours au plus tôt après sa nomination. Art. 45 – Quand la Chambre a déclaré qu’il y a lieu à examen, elle peut appeler le
ministre dans son sein pour lui demander des explications. Cet appel ne peut
avoir lieu que dix jours après le rapport de la commission. Art. 46 – Dans tout autre cas, les ministres ayant département
ne peuvent être appelés ni mandés par les Chambres. Art. 47 – Lorsque la Chambre des Représentants a déclaré qu’il y a lieu à examen contre un ministre, il est
formé une nouvelle commission de soixante membres tirés au sort, comme la
première; et il est fait, par cette commission, un nouveau rapport sur la mise
en accusation. Cette commission ne fait son rapport que dix jours après sa
nomination. Art. 48 – La mise en accusation ne peut être prononcée que
dix jours après la lecture et la distribution du rapport. Art. 49 – L’accusation
étant prononcée, la Chambre des Représentants nomme cinq commissaires pris dans
son sein, pour poursuivre l’accusation
devant la Chambre des Pairs. Art. 50 – L’article 75 du
titre VIII de l’acte constitutionnel du 22
frimaire an VIII, portant que les agents du Gouvernement ne peuvent être
poursuivis qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État, sera modifié par une loi. Titre V Du pouvoir
judiciaire Art. 51 – L’Empereur nomme
tous les juges. Ils sont inamovibles et à vie dès l’instant de leur nomination, sauf la nomination des
juges de paix et des juges de commerce, qui aura lieu comme par le passé. Les
juges actuels nommés par l’Empereur, aux
termes du sénatus-consulte du 12 octobre 1807, et qu’il jugera convenable de conserver, recevront des
provisions à vie avant le 1er janvier prochain. Art. 52 – L’institution
des jurés est maintenue. Art. 53 – Les débats en matière criminelle sont publics. Art. 54 – Les délits militaires seuls sont du ressort des
tribunaux militaires. Art. 55 – Tous les autres délits, même commis par les
militaires, sont de la compétence des tribunaux civils. Art. 56 – Tous les crimes et délits qui étaient attribués à
la Haute Cour impériale et dont le jugement n’est pas
réservé par le présent acte à la Chambre des Pairs, seront portés devant les
tribunaux ordinaires. Art. 57 – L’Empereur a le
droit de faire grâce, même en matière correctionnelle, et d’accorder des amnisties. Art. 58 – Les interprétations des lois, demandées par la
Cour de cassation, seront données dans la forme d’une loi. Titre VI Droits des
citoyens Art. 59 – Les Français sont égaux devant la loi, soit pour
la contribution aux impôts et charges publiques, soit pour l’admission aux emplois civils et militaires. Art. 60 – Nul ne peut, sous aucun prétexte, être distrait
des juges qui lui sont assignés par la loi. Art. 61 – Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ni
exilé, que dans les cas prévus par la loi et suivant les formes prescrites. Art. 62 – La liberté des cultes est garantie à tous. Art. 63 – Toutes les propriétés possédées ou acquises en
vertu des lois et toutes les créances sur l’État,
sont inviolables. Art. 64 – Tout citoyen a le droit d’imprimer et de publier ses pensées, en les
signant, sans aucune censure préalable, sauf la responsabilité légale, après la
publication, par jugement par jurés, quand même il n’y aurait lieu qu’à l’application d’une
peine correctionnelle. Art. 65 – Le droit de pétition est assuré à tous les
citoyens. Toute pétition est individuelle. Ces pétitions peuvent être
adressées, soit au Gouvernement, soit aux deux Chambres: néanmoins ces
dernières même doivent porter l’intitulé: A Sa Majesté L’empereur. Elles seront présentées aux Chambres sous la
garantie d’un membre qui recommande la
pétition. Elles sont lues publiquement, et si la Chambre les prend en
considération, elles sont portées à l’Empereur
par le président. Art. 66 – Aucune place, aucune partie du territoire, ne peut
être déclarée en état de siège, que dans le cas d’invasion
de la part d’une force étrangère, ou de
troubles civils – Dans le premier cas, la déclaration est faite par un acte du
Gouvernement – Dans le second cas, elle ne peut l’être que
par la loi. Toutefois, si, le cas arrivant, les Chambres ne sont pas
assemblées, l’acte du Gouvernement déclarant l’état de siège doit être converti en une
proposition de loi dans les quinze premiers jours de la réunion des Chambres. Art. 67 – Le peuple français déclare que, dans la délégation
qu’il a faite et qu’il fait
de ses pouvoirs, il n’a pas entendu et n’entend pas donner le droit de proposer le
rétablissement des Bourbons ou d’aucun prince
de cette famille sur le trône, même en cas d’extinction
de la dynastie impériale, ni le droit de rétablir soit l’ancienne noblesse féodale, soit les droits féodaux
et seigneuriaux, soit les dîmes, soit aucun culte privilégié et dominant, ni la
faculté de porter aucune atteinte à l’irrévocabilité
de la vente des domaines nationaux; il interdit formellement au gouvernement,
aux Chambres et aux citoyens toute proposition à cet égard. FONTE: C. Debbash et J. M.
Pontier, Les Constitutions de la France,
Dalloz, Paris 1989, pp. 123-129. |
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